L’altruisme est certainement le mot qui définit le plus cette petite grande famille de soignants ! Jeny, étudiante en 2 ème année en soins infirmiers et Matthieu, infirmier diplômé d’état depuis plus de 7 ans, nous relatent dans cette interview comment ils arrivent à allier à la fois voyage, vie de famille et engagement humanitaire.
2 soignants et leurs enfants s’ouvrent sur le monde en alliant voyages et humanitaires
Salut Jeny et Matthieu, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Jeny 37 ans, j’ai fait des études universitaires jusqu’à l’obtention d’une maitrise FLE (Francais langue étrangère). Ce diplôme m’a permis de faire un stage de 6 mois à Java, de travailler un an à Nancy avec un public de réfugiés politiques demandeurs d’asile, un public en situation d’alphabétisation et de travailler un an à la Réunion avec un public d’apprenants étrangers. Le métier de prof de FLE ne m’ayant offert que des contrats précaires, j’ai décidé de faire des études d’infirmière et suis actuellement sur le point de finir ma deuxième année.
La parentalité a quelque peu changé notre vie mais n’apporte pas d’entrave
Matthieu 37 ans, après mon BAC et durant une douzaine d’années j’ai alterné boulots et petits boulots principalement dans le domaine du tourisme, de la restauration et voyages de-ci de-là. Je travaillais comme saisonnier l’hiver et l’été et je partais au printemps et à l’automne. J’ai également été animateur de séjours itinérants à l’étranger pour adolescents. A l’âge de 30 ans et sûrement avec un peu plus de plomb dans la cervelle, j’ai décidé de suivre des études d’infirmiers (qui n’ont pas été de tout repos). Je suis diplômé depuis 2010 et travaille depuis lors dans un service de pédopsychiatrie.
Nous avons tous les deux toujours pas mal voyagé, avec nos familles étant jeune, chacun de notre côté quelque temps, puis ensemble (Amérique du Sud, Afrique, Europe, Proche-Orient et Asie) et enfin maintenant avec nos deux enfants Andréa et Louison 7 et 5 ans.
Vous avez fait une mission humanitaire au Mali, peux-tu nous en parler ?
Après plusieurs trips juste pour nous, nous avons voulu joindre l’utile et l’agréable et donc projeter de faire un espèce de voyage humanitaire. Changeant de lieux et de projets de vie très régulièrement, nous avons pensé que la meilleure solution était de se greffer sur les projets d’une association déjà en place depuis longtemps et de travailler ponctuellement avec eux en fonction de leurs besoins. Ayant envie de route et d’Afrique, nous avons donc rencontré plusieurs associations travaillant en Afrique de l’Ouest. Et c’est avec Malzeville au mali, une petite asso développant l’accès à l’éducation et aux soins dans la région de Ménaka (nord Mali, région Touaregs) que nous avons travaillé. Avec l’aide d’une association de pharmaciens, nous avons récolté des médicaments et du matériel de premiers soins que nous sommes parti livrer à quatre dans deux anciennes voitures de la poste achetées pour l’occasion. Ce fut à n’en pas douté une expérience forte en émotions, en rencontres, en questionnements et enrichissante sur bien des points. S’il est plutôt facile d’arriver dans un pays avec son sac à dos, il l’est un peu moins d’arriver dans des régions les plus pauvres du monde avec des envies de bien faire, la modestie de vos actions à vite fait de s’imposer à vous et ce voyage nous a amenés à pas mal de réflexions.
Justement, quel type de réflexions ?
Au début tu pars avec de grandes intentions, tu as un peu l’impression que ce que tu vas faire est plus ou moins énorme pour eux, tu vois le côté « mission humanitaire » mais sur le terrain tu te rends vite compte que ton action est modeste, qu’elle a un petit côté coup d’épée dans l’eau et que les réflexions vont être nombreuses.
Nous avions choisi le nord Mali et sa région touareg : avant d’y arriver, tu te rends compte quasiment à chaque kilomètre que tu pourrais t’arrêter tout de suite parce que toutes les populations rencontrées sur la route ont toutes les mêmes besoins en matériel de soins. Et ils t’en demandent à juste titre.
Il est assez délicat de leur dire non, non on a choisi un autre village plus loin au bout de notre route.
Ensuite, au niveau de la quantité de matériel, on s’est vite rendu compte qu’on n’avait pas amené suffisamment ou qu’il faudrait un approvisionnement régulier que nous ne pourrions assurer. Il faut aussi s’attendre à ce que tes « dons » soient détournés et servent à alimenter le commerce local. C’est le jeu, ça crée de la richesse et une certaine économie de l’aide humanitaire. Par exemple, sur les marchés locaux, le riz en vente est celui des grosses ONG : Medecin du monde, action contre la faim, etc etc..Ton action est donc détournée, mais sert tout de même à l’amélioration des conditions de vie de chacun.
À un autre niveau, nous nous sommes très vite aperçus des enjeux politiques complexes du nord Mali. La région de Menaka est mal lotie au niveau santé, éducation et infrastructures. Les touaregs sont assez largement considérés comme des citoyens de seconde zone et les pouvoirs publics sont peu enclins à favoriser leur développement. Alors nous avec nos quelques apports nous n’allions pas pouvoir changer grand-chose. Nous avons même subi un peu d’hostilité de la part de Malien « pur souche ».
Cependant deux éléments ont amortis la chute.
Premièrement, le fait d’avoir travaillé avec une asso nancéenne qui oeuvrait et allait continuer d’oeuvrer sur place a été une chance. Ils nous ont aidés à relativiser notre action et à la soutenir. Eux connaissent la patience et la détermination nécessaire à ce genre d’action. Et, en une dizaine d’années, ils ont réussi à construire et à lancer une école, à installer un puits d’eau potable, à initier quelques microcrédits et à lancer des formations santé aux accoucheuses de brousse. Chapeau à eux qui, loin des grandes ONG qui ont pignon sur rue dans toutes ces contrées avec leurs énormes plateaux logistiques, font un travail lent et fastidieux mais au plus près des populations et sur le long terme.
[…]après m’être replongé dans ces souvenirs, est sûrement que la modestie, l’humanité et l’ouverture à l’autre sont les éléments incontournables à toutes rencontres et cela vaut autant pour le voyage que pour le métier de soignant.
Enfin l’accueil des gens sur place a été exceptionnel. Quand l’asso les a prévenus que 4 jeunes allaient débarquer chez eux pour filer un coup de main et qu’ils allaient arriver depuis la France par la « route » ils nous ont un peu pris pour des fous. Finalement, Habila le « correspondant » de l’asso guettait plus ou moins notre arrivée. Il est venu à notre rencontre à Menaka (30 kilomètres de son village) quand il a su que quatre petits blancs venaient d’arriver à bord du dernier camion en provenance de Gao (une des voitures nous ayant lâché nous avons fini la route comme nous avons pu). Nous avons passé quelques jours chez lui au milieu de villageois touchés par ce que nous faisions. On aurait pu arriver les mains vide, le simple fait qu’on sache qu’ils existent et qu’on fasse la démarche d’aller les voir était déjà suffisant pour eux. Les femmes, les innombrables enfants, les hommes, les sourires, la Générosité qui les caractérise, les embrassades, les échanges, les promenades, les thés, les moments de palabres ont été d’une richesse indéfinissable et ont fait de ce voyage un trip à part entière qui nous a surement laissé quelques traces d’humanité… Merci à eux
Comment alliez-vous travail et voyages au quotidien ?
Depuis la naissance de notre premier enfant nous avons réussi à caler un petit séjour en Transporter VV en Tchéquie pendant mes vacances d’étudiants : voyage ayant capoté après que nous nous soyons fait doubler par notre roue arrière droite qui avait décidé de voyager toute seule et que le moteur lui aussi nous ait lâché. Après la naissance de Louison et mon diplôme, nous avions à décider entre partir vivre en voyage (à l’étranger ou en Dom-Tom) où nous poser en France en camp de base. Nous nous sommes donc installés dans les environs de Marseille. Jeny a entrepris ses études d’infirmière et les envies de voyages prenant vite le pas sur notre sédentarité, j’ai posé des congés sans solde et Jeny a pris une année de report pour nous permettre un voyage de trois mois en Thaïlande et au Laos en famille. Depuis j’ai repris le travail, Jeny et les enfants leurs études et les idées ne manquent pas pour notre prochain grand départ dans 2 ans.
Vous êtes parents, qu’est-ce que cela a changé dans votre vie et vos projets ?
La parentalité a quelque peu changé notre vie mais n’apporte pas d’entrave. Il faut juste adapter un peu ses rêves en fonction de tout le monde : prendre moins de risque, choisir ses destinations en fonction des enfants, augmenter un peu le budget voyage, préparer un peu plus les projets, choisir les bonnes périodes en fonction de l’école pour partir : bref penser à eux…
Comment cela se passe de voyager avec 2 enfants en bas âge ? (administratif, santé, éducation…)
Voyager avec ses enfants demande un peu plus de logistique.
Au niveau administratif, pas de soucis, ils sont aussi libres que nous de voyager.
Au niveau santé, il faut faire plus attention à eux : nous rêvons encore d’Afrique, mais âgés de 3 et 5 ans nous avons pensé qu’un premier trip en Asie serait plus sûre au niveau sanitaire. Il faut toutefois partir avec une trousse de secours plus grande et plus adaptée.
Dans l’ensemble, on pourrait dire que cela se passe un peu comme pour nous mais avec une plus grande attention à leur bien-être et leur sécurité (rester plus longtemps au même endroit, éviter les trajets genre 40 h de bus pour traverser le pays, respecter leurs rythmes, rendre les choses ludiques et attrayantes, les laisser investir leur voyage….) En tout cas, les trois mois en Asie ont été magiques et les enfants en gardent un fort souvenir. Ils attendent le prochain départ avec impatience et nous en parlons régulièrement. Il me paraît également important de préciser que le voyage avec des enfants offre de nouvelles perspectives : les contacts sont souvent plus faciles et peuvent amener des moments d’échanges privilégiés avec les familles sur place.
Ils ont adoré travailler dans des lieux tels que bungalows au bord du Mékong, train, bus etc etc….
Au niveau éducation, nos deux petits monstres étaient en petite et grande section maternelle. Nous avons donc informé la directrice de leur école et leur institutrice de notre projet et cela n’a posé aucun problème. Ils ont commencé l’année normalement, sont partis 3 mois et ont réintégré leur classe ensuite. À cela de près qu’ils avaient préparé un beau petit exposé pour leurs camarades. Nous sommes également partis avec deux cahiers d’activités concoctés avec leur maîtresse. Ils ont adoré travailler dans des lieux tels que bungalows au bord du Mékong, train, bus etc etc… Nous avons également pu faire quelques-unes de ces petites séances de travail avec des enfants sur place…grands moments là aussi. Pour notre prochain voyage qui sera, nous l’espérons, plus long et où ils seront dans des classes supérieures il faudra alors envisager soit le CNED soit leur faire « la classe ».
Qu’est-ce le voyage vous apporte (personnellement et professionnellement) ?
Les voyages apportent énormément à tous les niveaux. Ce n’est pas évident à définir, mais nous ne saurions pas comment faire autrement que de partir. Ce sont à chaque fois des expériences magiques qui nous font apprécier la vie et l’apprécier à sa juste valeur. Cela nous permet sûrement d’être moins égocentriques, de plus pouvoir réfléchir à notre place et à la place de chacun dans le monde, de relativiser de de de… plein de choses que quiconque a expérimentées sera de quoi on parle. Le monde est magnifique et les gens sont beaux dans tout ce qu’ils ont et surtout dans tout ce qu’ils sont et il serait vraiment dommage de ne pas aller voir ailleurs ce qui se passe (ça pourrait faire philo de comptoir, mais ça doit être à peu près comme ça que nous le ressentons..).
Comment les gens perçoivent-ils votre « mode de vie » ?
Le monde est rempli de voyageurs, les gens qui savent, qui osent ou qui envisagent savent bien que ce n’est pas un mode de vie mais un choix comme un autre et pas plus difficile qu’un autre. Les autres peuvent parfois trouver que nous sommes atypiques. Mais alors il y aurait vraiment beaucoup d’atypiques sur terre.
Quel est votre regard sur votre métier d’Infirmiers en France ?
Matthieu : « En ce qui me concerne, le métier d’infirmier ou d’aide-soignant permet de travailler dans l’humain, d’être aux contacts de personnes toutes différentes, d’écouter et d’entendre leurs parcours de vie et d’être là pour eux dans des moments où ils ont besoin d’aide. D’un point de vue plus pragmatique cela m’assure aussi une sécurité de l’emploi et la possibilité de faire cohabiter ma vie professionnelle et les voyages en interrompant la première pour vivre les deuxièmes. Cela pourrait aussi nous permettre de vivre les deux en même temps…. »
Il est vrai, que travailler au contact des populations vulnérables a toujours été pour moi, une forte motivation, même si je donne beaucoup de ma personne, j’ai la sensation de recevoir énormément.
Jeny : « J’ai besoin, à travers mon métier d’être au contact des gens. Depuis toujours j’ai une certaine sensibilité qui fait que j’ai la sensation d’apporter quand il le faut, soutien, réconfort et présence aux personnes qui en éprouvent le besoin. Il est vrai, que travailler au contact des populations vulnérables a toujours été pour moi, une forte motivation, même si je donne beaucoup de ma personne, j’ai la sensation de recevoir énormément. Que ce soit dans l’enseignement ou le domaine du soin, cela constitue un moteur pour moi. En tant qu’étudiante infirmière, j’ai encore des représentations sur le métier pleines d’idéaux… Mais au cours de mes différents stages, je m’aperçois que dans certains établissements, certains services, les contraintes économiques et organisationnelles sont génératrices de frustrations. Je n’ai pas choisi cette reconversion professionnelle pour me sentir frustrée (dans la qualité de ma prise en charge des patients), je reste donc persuadée qu’il existe des endroits, où je pourrai le faire, à moi, d’être vigilante, au moment de mon embauche ou si je m’aperçois que les soins que je prodigue ne peuvent être en accord avec mes valeurs. »
Le monde est rempli de voyageurs, les gens qui savent, qui osent ou qui envisagent savent bien que ce n’est pas un mode de vie mais un choix comme un autre et pas plus difficile qu’un autre.
Quels sont vos projets ?
Nous allons attendre que Jeny finisse sa troisième année, puis nous nous donnons un an pour mettre de l’argent de côté et préparer notre prochain voyage. Plusieurs idées nous parcourent déjà dans la tête : aller jusqu’à Samarcande et se promener sur la Route de la soie en camion ou autre véhicule à voyage…..tour de l’Océan Indien via Inde, Sri Lanka, Réunion et Madagascar… tour du monde « classique »… Il faut aussi qu’on trouve un leitmotiv à notre voyage : ça pourrait être autour de la rencontre avec les enfants du monde ou pourquoi pas ponctué de bénévolat quelque part….tout reste à définir et cette partie de mise en route de projet est elle aussi très excitante.
Le mot de la fin, surtout après m’être replongé dans ces souvenirs, est sûrement que la modestie, l’humanité et l’ouverture à l’autre sont les éléments incontournables à toutes rencontres et cela vaut autant pour le voyage que pour le métier de soignant…
Jeny, Matthieu, Andréa et Louison.
Crédit Photos : Jeny & Matthieu
Merci à vous 4 d’avoir partagé votre expérience avec nous. Vos voyages en famille, votre tolérance et votre envie de vivre sont une véritable inspiration pour nous et nous prouvent, encore une fois, que tout est possible. Bonne dernière année à Jeny, et qui sait… À bientôt sur les routes du monde 😉
J’admire les personnes qui vont au bout de leurs rêves et leurs aspirations ! Je ne peux que dire Bravo pour çà, et surtout pour votre courage (avec 2 enfants en bas âge !) !
Bravo à cette petite famille pour leur courage et leurs motivations.
Je sais comme il peut être facile d’avoir l’idée de se projeter dans un périple de cette envergure mais au combien difficile de le réaliser vraiment.
Ces parents offrent également une chance à leurs enfants de grandir et de murir un esprit d’ouverture et de tolérance tellement éloigné de la réalité de notre société « moderne ».
Aller à la rencontre des peuples et un bienfait pour tous.
Bonne continuation et ne vous arrêtez pas là.
Peut être vous rejoindrai-je un jour…
Formidable couple. Peut etre qu’un jour j’aurai l’opportunite de vous interviewer. Quand je void Malzeville dans un ecrit je pense a mes amis de la bad Chritian Christian Germain….
Pas de problème pour une rencontre et une interview
Bonjour,
Nous sommes un groupe d’étudiantes IDE en 3ème année et travaillons sur le métier d’infirmier au Mali. Seriez-vous d’accord de répondre à quelques questions ? Merci
Quel plaisir de lire ces lignes et quel plaisir de découvrir ce courageux couple. Un jour peut être je rencontrerai ces deux personnages. L’ami de ton ami est ton ami est ton ami. Ce couple me rappelle un autre: Les Kelners de Malzéville qui malgré leur âge n’ont cessé d’aider Inkiringuya que ce couple a visité. Avec un autre ami Germain ils continuent à travers leur Association de chercher les voies pour développer ce site; une pensée à vous tous
Tu es donc notre ami. Au plaisir de te rencontrer un jour. Courage aux maliens et aux gens qui les aident?
Merci pour ce beau blog!je suis aide soignante et d’autant plus touchée par vos photos et vos mots magnifiques, bienveillance et humanité pour nous tous:)
Merci Christine 🙂
A bientôt alors !
Je suis infirmiere et voyageuse dans l’âme , je voyage aussi beaucoup avec mes 2 filles depuis qu’elles sont nées ( aujourd’hui 12 et 16 ans ) , j’aurais adoré associé travail et voyage mais n’ayant pas eu la chance d’avoir un compagnon partageant cette même envie , je ne l’ai pas fait et pourtant ce n’est pas les opportunités qui ce sont présentes !
Je suis donc partie pour des courtes missions à l’étranger sans les miens . Je suis d’autant admirative devant ce couple , quelle belle aventure ! Merci Yoan pour votre blog , pour ces témoignages et pour votre aventure que vous partagez! Ce n’est que du bonheur ! J’espère un jour vous rencontrer quelque part dans le monde!
Avec grand plaisir Sylvie 🙂