Grâce à notre groupe Facebook, nous avons fait la connaissance de Clara une infirmière Française spécialisée en Réanimation pédiatrique. Lors d’un voyage au Brésil, cette infirmière Française formée à la Croix Rouge Française tombe littéralement amoureuse du pays et décide de tout faire pour y travailler. Dans cette interview elle nous explique donc le rôle d’une infirmière au Brésil, la formation qui là-bas est de bac +5, mais aussi de son ressentie de l’intérieur.
En effet en ayant voyagé au Brésil plus de 6 mois, nous avons pu constater que le Brésil est magnifique en surface, mais qu’il y règne de grandes inégalités sociales, on laisse donc la parole à Clara pour nous expliquer son rôle d’infirmière au Brésil !
Clara, une infirmière Française au Brésil !
Qu’est-ce qui t’a emmené au Brésil ?
J’ai rencontré un Brésilien en vacances au Brésil en février 2011, 6 mois après je débarquais au Brésil, à Fortaleza (dans le nord-est) où il faisait ses études de pilote de ligne. La « saudade » (nostalgie) était trop grande. Avant ça, j’ai été formée en tant qu’infirmière à L’IFSI de la croix rouge à Paris et j’ai travaillé pendant 4 ans en réanimation pédiatrique à Massy près de Paris.
En arrivant là-bas, je ne savais même pas dire bonjour en portugais, mais j’ai vite vu que je ne survirais pas si je n’apprenais pas rapidement la langue. J ai donc acheté 3 bouquins : la méthode Assimil pour apprendre le portugais du Brésil, un Bescherelle pour la conjugaison, ainsi qu’un dico de français-portugais.
Je n’ai pas pris de cours, mais je suis restée « enfermé » pendant 1 mois et demi à apprendre avec mes bouquins, j’écrivais des textes que mon copain corrigeait et il ne me parlait plus du tout anglais au bout de 10 jours que je suis arrivée là-bas , pour me forcer à apprendre et à comprendre. Personne ne parle anglais ou très peu , alors le portugais est indispensable pour vivre au Brésil.
Nous savons qu’au Brésil, les infirmières font 5 ans d’étude, comment as-tu fait pour pouvoir exercer là bas ?
Une semaine après être arrivée là-bas , je me suis renseignée sur comment il fallait que je fasse pour valider mon diplôme (ce que je pensais ne pas avoir à faire en partant, mais bon …). Je me suis présentée à l’université fédérale de l’état où j’étais , mais on m’a demandé de passer un test en portugais (CELPE BRAS que j’ai passé deux mois après être arrivée, il n’y a que 2 dates possible par an dans le nord-est , j ai du aller jusqu’à Recife car eux seuls le faisaient passer), mais en plus de ça il me demandaient tout mon historique scolaire de l’école d’infirmière (matières et notes), ainsi que mes bulletins du Lycée (j’en avais perdu la moitié), et il fallait que tous ces documents soient traduits par un traducteur reconnu. À 50 reals (à l’époque) la page (je devais en avoir 30 en tout) j’étais un peu démotivée …
Par chance mon copain connaissait le propriétaire d’une fac privée qui m’a dit de me présenter avec mon dossier scolaire d’infirmière pour rencontrer la coordinatrice. Là, elle m’a demandé de lui traduire tout ce que j’avais appris durant mes études, ainsi que mes notes . Sauf que là, je pouvais le faire moi même, pas besoin de traducteur professionnel. J’y suis donc retourné en ayant détaillé tout ce que j’avais appris dans chaque module (heureusement j’avais tout gardé) et mon mémoire de fin d’études, mais lui je ne l’avais pas traduit, je l’ai juste ramené tel qu’il était. Elle a pris un jour en comparant avec le cursus infirmier brésilien pour voir quelles matières il me manquait.
Verdict : 14 matières à repasser, 2 stages, mais ouff pas de mémoire à refaire .
Les matières étaient du style : épidémiologie, santé publique, étique et législation , santé du travail, portugais, gynécologie, santé communautaire, système de santé Brésilien… Les stages ont été faits en centre de prévention du cancer et dans une école d’enfant publique où on faisait de la prévention sous forme d’exposés. À la fac on me disait qu’il me faudrait un an et demi pour faire ces 14 matières, sauf que c’est à la carte , donc on choisit combien de matières on veut faire (maximum 6 par semestre).
J’ai passé toutes mes matières sans aller à un seul rattrapage, j’ai même fini major de ma promo.
J’ai donc commencé mon premier semestre avec 6 matières plus un stage ; j’allais en cours le matin pendant 3 h 30 et un après-midi sur deux au centre de prévention du cancer (dans les stages on est minimum 6 élèves donc on n’est jamais seul comme on peut être en France, ce que je trouve très peu formateur, mais bon ). J’ai fait pareil au deuxième semestre, avec le deuxième stage. En cours de route, je me suis aperçue que je devrais faire un 3e semestre seulement pour 2 matières (portugais et étique et législation) . J’ai donc pris un rendez-vous avec le directeur pour savoir si je pouvais faire ses matières seules chez moi en plus des autres de mon semestre . Cela a été accepté et ils ont fait des partiels juste pour moi à la fin du semestre.
À savoir les partiels sont chaque trimestre , il faut une moyenne de 7/10 pour passer , il y a 2 rattrapages (par matières) en fin de semestre au cas où, et les partiels sont sous forme de QCM (pas évident quand ce n’est pas notre langue maternelle et qu’il joue très souvent sur les mots pour changer le sens de la réponse).
Chaque matière me coutait environ 220 reals par mois, soit 1200 reals par mois pour l’ensemble des matières pendant les 12 mois de l’année (on paye également quand on est en vacance, car au final on ne va en cours que 4 mois et demi sur 6 le reste on est en vacances) et les stages ne sont pas rémunérés comme ils peuvent l’être en France même si ce n’est pas beaucoup je me rappelle que c’était déjà ça de pris. j’ai donc dépensé au total 16000 reals (aujourd’hui ça équivaudrait à 3800 euros, sauf qu’à l’époque le reals n’était pas le même, ça m’a donc couté 6400 euros ). J’ai passé toutes mes matières sans aller à un seul rattrapage, j’ai même fini major de ma promo.
En décembre 2012 j’avais donc fini, sauf que comme je n’ai pas fait les études dans l’université fédérale, il fallait attendre 4 mois avant de recevoir ledit diplôme, car il doit être revérifié par l’université fédérale. Quatre mois où j’ai travaillé en tant que réceptionniste dans un hôtel… Il fallait bien que je fasse quelque chose, et le week-end j’allais dans l’hôpital où travaillait mon beau père , où il est médecin anesthésiste dans la partie gynécologique, où je donnais les ustensiles au chirurgien lors des césariennes. Quatre mois après, j’ai reçu mon diplôme et j’ai pu m’inscrire au COREN (syndic des infirmiers brésiliens, sans cette carte on ne peut pas travailler).
Une fois ton équivalence acquise, a-t-il été facile de trouver un poste ?
Une fois cette carte en main je me disais chouette y’a plus qu’à trouver du boulot…. sauf que ça ne se passe pas comme ça. Pour chaque travail il y a un processus de sélection avec 4 ou 5 étapes suivant l’établissement :
- un test théorique où tu as en général 10 questions , la plupart en QCM
- un entretien avec l’infirmière en chef et la DRH
- un test psychotechnique ou psychologique
- un test pratique ou tu passes 12 heures dans un service ( celui pour lequel tu as demandé le poste en général )
- et enfin un entretien avec la DRH et le directeur de l’établissement
Sauf qu’entre chaque étape il peut se passer une semaine comme un mois… Il ne faut pas être pressée. J’ai donc postulé et fait plusieurs de ces processus. Mais attention il y a aussi d’autres moyens de trouver du travail en passant ce qui s’appelle des concours publics, pour travailler dans le publique. Le salaire est plus important, allant de 4000 reals parfois, et même 10.000 dans la « Rede Sarah » (ce qui pourrait être comparé à nos hôpitaux militaires). La sélection est très sévère, les questions sont très dures et portent sur un peu tout en général au Brésil, c’est plus de la « culture G » Brésilienne et quelques questions d’infirmière.
J’ai fait celui de la Rede Sarah, il y avait 70 questions en QCM, et 10 en anglais . Nous étions 7000 dans tout le Brésil a y postuler… j’ai réussi, mais j’ai été mise sur liste d’attente pendant deux ans , je n’avais pas obtenu une assez bonne note, on ne m’a jamais appelé .
J’ai été embauchée aux urgences dans un premier temps, on était en 2013 , la coupe du monde approchait , il cherchait beaucoup d’infirmières parlant plusieurs langues, l’anglais le portugais et le français étaient pas mal demandés. Je me suis vite rendu compte que , d’une part on n’a pas de mini formation lorsqu’on arrive dans un nouveau job , c’est un peu démerde toi comme tu peux , tu n’es pas doublée et tu dois tout savoir direct .
L’infirmière au Brésil a un champ de compétence plus élargie qu’en France, peux-tu nous en parler ?
J’ai vite vu aussi (n’ayant pas fait de stage en hôpitaux, je ne m’en étais pas rendu compte avant) que les infirmières ont un tout autre rôle au Brésil. Il existe des infirmières techniciennes qui font tous les gestes techniques , sauf ceux qui demandent plus de compétences, comme pose de SU, soins de trachéotomie, KT central… Donc ce sont ces infirmières techniciennes (formation de 2 ans) qui font tout. Et toi en tant qu’infirmière tu dois vérifier leur travail et gérer tout le cote administratif et fonctionnel du service. En gros il n’y a qu’une infirmière par service et 5 ou 6 infirmières techniciennes, sauf en rea où elles sont 2 ou 3. Tu deviens un petit chef de service en fait .
Quant au salaire… il n’est pas celui que j’espérais en arrivant ; je gagnais 2000 reals (500 euros environ) pour 190 heures de travail par mois, généralement je travaillais du lundi au samedi pendant 8 h et deux dimanches par mois…Les infirmières cumulent souvent deux emplois pour pouvoir être bien financièrement, elles arrivent donc presque toujours en retard pour leur prise de poste).
Ensuite j’ai changé et je suis allée en chirurgie générale, mais j’ai quand même dû refaire tout le processus de sélection (en plus c’était un autre hôpital). J’ai toujours travaillé dans le privé, où l’on devait expliquer pourquoi on avait utilisé 4 compresses pour un pansement et pas 3 (fait par les infirmières techniciennes), pourquoi ce type de pansement et pas un autre, pour justifier auprès de plan de santé (sorte de mutuelle) pour que les patients soient remboursés .
Pas mal d’amies à moi travaillaient dans des dispensaires ou dans des hôpitaux publics où c’est diffèrent puisque c’est gratuit pour la population , mais il manquait cruellement de médecins, il n’était pas rare de trouver un patient qui mourrait aux urgences pour faute de personnel médical ! Et je ne me sentais pas de devoir affronter cela, ou de devoir faire l’infirmière, le médecin et l’agent de service dans les dispensaires seuls, par manque de personnel également.
Que penses-tu du système de santé brésilien (public où tout est gratuit, privé où tout est payant) ?
Je trouve leur système de santé publique (SUS : sistema unico de saude ) très beau en théorie, mais en pratique il y a beaucoup de personnes qui attendent plus de 12 heures avant de voir quelqu’un et font plusieurs centaines de km avant de pouvoir rejoindre un dispensaire digne de ce nom…
Pour ce qui est du privé cela fonctionne plutôt bien, mais nous devons payer 400 reals par personne par mois pour pouvoir être couvert et encore on doit payer certaine fois 20% du prix de l’examen en plus des ces 400 reals. La vie étant très chère avec plus de 70% de la population en précarité… seuls les « riches » peuvent se le permettre.
Que retiens-tu de ton expérience brésilienne ?
De mon expérience, je retiens du positif comme du négatif : Un peu déçue du travail en lui-même, car j aime le contact avec les patients et les gestes techniques, beaucoup de responsabilités pour un salaire misérable, un système de santé pour les pauvres assez déplorable.
Mais j’ai aimé le fait de découvrir notre métier ailleurs, de voir que c’est très différent de chez nous et de pouvoir échanger sur les soins. On me demandait souvent, mais vous comment feriez-vous cela en France, alors j’expliquais et suite à cela certains protocoles de soin ont été changés. Il y a une liberté d’expression que je ne trouvais pas forcément en France .
Clara, une infirmière Française au Brésil !
Voilà pour mon expérience. Je tiens à préciser que c’étais dans le nord-est, ce qui équivaut un peu à la cambrousse en comparaison avec Rio, Sao Paulo ou Brasilia; et je ne sais absolument pas comment cela se passe dans les autres états du Brésil . Ce pays est immense et lorsque l’on change d’état on change un peu de pays. Aujourd’hui j’ai quitté le Brésil il y a 3 mois pour suivre mon mari au Qatar !
Merci Clara d’avoir partagé ton expérience au Brésil avec nous. Les Brésiliens que nous avons rencontrés sur notre route partagent le même constat que toi et espèrent un avenir meilleur pour leur pays. N’hésitez pas à poser vos questions à Clara en lui laissant un commentaire au bas de cet article ou à nous rejoindre sur notre groupe Facebook !