L’aventure d’un infirmier au coeur du Grand Nord Québécois

L’aventure d’un infirmier au coeur du Grand Nord Québécois

[vc_row][vc_column][vc_cta h2= »Le podcast les soignants nomades » add_button= »left » btn_title= »Écouter le podcast » btn_color= »orange » btn_link= »url:https%3A%2F%2Fwww.floetyo.com%2Fblog%2Fle-podcast-les-soignants-nomades%2F||| »]Le podcast des soignants nomades c’est un rendez-vous mensuel qui donne la parole à des professionnels de santé qui ont choisi de suivre le très célèbre proverbe : « aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs» au pied de la lettre. Pour quelques mois ou pour toute une vie, ces soignants ont choisi de prendre le très célèbre proverbe français au mot : aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Que ce soit aux USA, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna en passant par le Grand Nord Québécois, accompagnez-nous pour un voyage autour du monde des différentes façons de soigner ![/vc_cta][vc_column_text]

Le Grand Nord, quand on y pense, on imagine des montagnes de glaces et des ours polaires… et bien au milieu de tout ça, il y a Etienne, un infirmier qui exerce son métier dans le dispensaire d’un village Inuit. Là bas, à plusieurs jours de tout grand centre hospitalier, il doit savoir traiter les maladies courantes mais aussi faire face aux urgences. Toutes ces expériences exceptionnelles vécues sur ces terres lointaines, il les partage avec nous dans cet article.

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L’aventure d’un infirmier au coeur du Grand Nord Québécois

Peux-tu te présenter ? 

Je m’appelle Étienne. Je suis un infirmier québécois. Ça fait maintenant 9 ans que je pratique la profession. Ayant une bonne expérience sur les départements d’urgence et de chirurgie, j’ai principalement travaillé dans les régions éloignées du Grand Nord québécois. Je me plais à dire que je suis devenu infirmier par accident. Oui, je sais, ça peut sonner un peu drôle, mais c’est après avoir complété un diplôme universitaire en sociologie que je me suis réorienté dans le domaine de la santé. Je travaillais déjà dans un hôpital durant mes études universitaires en sciences sociales lorsque j’ai réalisé que j’avais un intérêt marqué pour le travail des soignants.




L’idée de devenir moi-même soignant s’est tranquillement ancrée en moi jusqu’à ce que je me décide, entre deux voyages, à m’inscrire au cours de soins infirmiers.

L'aventure d'un infirmier au coeur du Grand Nord Québécois
Etienne

Quel est le cursus scolaire d’un infirmier au Québec ?

Au Québec, deux cheminements sont possibles pour avoir accès au diplôme d’infirmier. Il y a le CEGEP ou l’université. Concernant le CEGEP : vous n’avez pas d’équivalent en France ; le CEGEP est l’étape entre l’école secondaire et l’université. Tu peux devenir un infirmier licencié en accomplissant trois ans d’études au CEGEP, ce qui donne une « Technique en soins infirmiers ». Suite à cette technique, tu peux soit travailler comme infirmier ou soit poursuivre tes études à l’université en « Sciences infirmières ». Autre option : décrocher un diplôme collégial avec profil science (durée de 2 ans) et poursuivre en « Sciences infirmières » à l’université. Je sais que ce cheminement peut vous paraître complexe… (il est vrai qu’au Québec on a parfois le don de compliquer les choses !) Précisons que l’avantage de la technique en soins infirmiers donne, à mon avis, plus d’expériences de stage et permet de compléter une formation universitaire en deux ans au lieu des trois années nécessaires pour ceux n’ayant pas fait de technique au collégial.
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Tu exerces en dispensaire, peux-tu nous parler de ce métier d’infirmier en rôle élargi ?

D’abord, décrivons un peu ce qu’est un « dispensaire ». En somme, un dispensaire est une clinique de soins située en région isolée des grands centres urbains. Souvent, ces communautés sont si éloignées qu’elles ne peuvent être rejointes qu’en avion ou en bateau. Donc, afin qu’ils aient accès à des soins de santé, le gouvernement a construit des cliniques où des infirmières et infirmiers assurent une garde médicale constante.

« Comme les médecins ne viennent qu’une fois par mois dans ces communautés, les infirmiers ont droit de poser des actes médicaux délégués. »

C’est-à-dire qu’ils peuvent diagnostiquer, à l’aide de protocoles, traiter des maladies courantes en prescrivant des médicaments, faire des points de suture, stabiliser divers cas et même faire des accouchements. Évidemment, ils peuvent compter sur l’aide d’un médecin de garde qui peut leur donner des conseils via le téléphone. Si le cas clinique est trop instable, l’infirmier et le médecin organisent alors une évacuation médicale par avion du patient vers un centre hospitalier.

Dispensaire de Latabatière, Basse-Côte-Nord
Dispensaire de Latabatière, Basse-Côte-Nord

Moi dans mon dispensaire, Kegaska

Quels sont les avantages et les limites de cette fonction ?

La pratique en rôle élargi nous donne évidemment une grande autonomie. Elle nous permet de poser des actes qu’habituellement seuls les médecins peuvent pratiquer. Vous comprendrez que c’est un travail comportant beaucoup de défis ! On doit avoir une bonne connaissance de la physiopathologie, maîtriser l’examen physique du patient ainsi que les diagnostics différentiels. Autonomie rime aussi avec grande responsabilité, car on peut se retrouver seul à gérer un cas instable… et à cause de la météo souvent imprévisible de ces régions nordiques, l’évacuation aéroportée n’est pas toujours possible. Ce qui demande aussi, vous vous en doutez, une grande maîtrise de soi et une bonne capacité d’adaptation.

« Grand avantage du travail en rôle élargi : voyager dans des endroits reculés du Grand Nord québécois où la nature est sublime et omniprésente. »

Concernant les limites de cette fonction : le rôle élargi ne se pratique que dans ces endroits isolés. Je ne peux pratiquer en rôle élargi dans les centres urbains.

Quelle formation faut-il faire pour exercer cette spécialité ?

Pour exercer en rôle élargi, il faut avoir une expérience en soins critique : urgence, soins intensifs. L’employeur donne une formation d’appoint d’un mois où on nous apprend la « médecine de brousse », mais aussi à développer notre jugement clinique. Mais l’expérience se développe majoritairement sur le terrain.
Infirmier de chantier

Tu habites dans le Grand Nord du Québec, peux-tu nous décrire la vie là-bas ? 

Lorsque je suis en fonction, j’habite effectivement dans le nord du Québec. Mais je suis en poste que six mois par année, j’ai aussi une demeure dans le sud du Québec. J’ai travaillé quelques années dans les communautés inuites du Nunavik. Ce sont les terres les plus isolées de la province. Dans ces landes immenses appelées « toundra », on retrouve des milliers de lacs et rivières. De voir cette immensité à vol d’oiseau est un spectacle à couper le souffle. La toundra est peuplée de nombreux animaux sauvages, dont le caribou, le bœuf musqué, l’ours noir, l’ours polaire, le renard arctique et des oiseaux de toutes sortes. Et il ne faut pas oublier la présence des animaux marins comme les baleines, épaulards, bélugas, narvals, phoques et morses qui peuplent les eaux du Grand Nord.
Depuis quelques années, je suis en poste dans une clinique d’une région appelée « Basse-Côte-Nord ». C’est une zone géographique s’étendant le long de la rive nord du golfe du fleuve Saint-Laurent. Sur le long de ces côtes dentelées, on retrouve plusieurs villages de pêcheurs de crabes et de homards. Il y a dans cette région quelques communautés autochtones dites « Innues » ou « Montagnaises ».
Je travaille ici dans la petite communauté de Kegaska depuis bientôt quatre ans.

« Dans ma clinique, je suis le seul infirmier en poste. Donc il faut être débrouillard, car je ne peux compter sur aucune assistance de collègue. »

Il m’est déjà arrivé de devoir m’occuper d’un patient pendant trois jours sans trop dormir, car l’avion avec lequel je devais l’évacuer ne pouvait se poser à cause d’une tempête de neige. Ce travail demande une garde de 24h sur 24h, sept jours sur sept… et ce pendant les deux mois que je suis ici. Suivi de deux mois de vacances bien méritées !


Y a-t-il des règles de sécurité à appliquer dans ces milieux isolés ?

Comme partout en milieu éloigné, où la nature et les animaux sauvages sont omniprésents, il faut être prudent. Dans ces régions, la température peut descendre dans les -55 degrés Celsius l’hiver. Il faut donc être très bien vêtu, car le moindre petit bout de peau exposée à l’air peut se transformer en engelure. Aussi, lorsque l’on veut se balader dans la toundra, on doit être sur nos gardes : d’abord de se perdre dans ces immenses étendues, mais aussi des animaux sauvages comme les loups ou les ours polaires.
Parfois, dans certaines communautés, des ours polaires viennent roder l’hiver autour des habitations, en quête de nourriture. Il arrive que les Inuits doivent en abattre pour leur propre sécurité et celle de leurs enfants (la photo où l’on me voit tenant une patte d’ours polaire a d’ailleurs été prise après l’abattage nécessaire de l’animal).

Un ours polaire abattu dans le village d'Ivujivik_
Un ours polaire abattu dans le village d’Ivujivik

Enfants inuits d'Ivujivik
Enfants inuits d’Ivujivik

Quelle relation as-tu avec la population ? Comment t’intègres-tu ?

C’est une relation de confiance. Après quatre ans en poste dans ce petit village, les gens m’ont adopté. Ça n’a pas été particulièrement difficile de m’intégrer étant donné que je suis présent dans leur vie depuis des années. Il faut dire que de donner des soins, de les aider avec leurs problèmes de santé, font de nous les soignants des espèces de confidents.

« Les gens nous confient leurs problèmes et on les aide à se soigner, parfois on les aides dans leur processus de fin de vie aussi : ce qui forcément tisse des liens. »

Je crois que de rester soi-même et accessible est-ce qui m’a aidé à m’intégrer dans tous les milieux où j’ai travaillé.

Y a-t-il des situations de soin qui t’ont particulièrement marqué ?

Le taux de suicide est très élevé dans les communautés inuites. Pour un soignant, rien n’est plus difficile que de devoir décrocher un jeune adolescent qui s’est pendu dans son placard. Malheureusement, ceci se produit trop souvent dans le Grand Nord. Il y a un mal de vivre chez certains jeunes Inuits qui est difficile à enrayer. On se sent alors « inutile » lorsque ces jeunes choisissent un moyen permanent (la mort) pour régler un problème temporaire.

 

Quelle est la culture inuit (alimentation, mode de vie, religion) ?

La culture inuite en est une de symbiose avec la nature. Bien sûr, comme la culture « blanche » (voir colonisatrice) est omniprésente, cette symbiose s’est effritée avec les décennies. Ce qui fait que la culture inuite vit un choc : celui de la disparition de son mode de vie traditionnelle. Il y a le mode de vie contemporain qui attire les jeunes (ordinateur, musique pop, mal bouffe) et le mode de vie traditionnel (chasse, pêche, survie dans la toundra, famille).

« Les Inuits, traditionnellement, sont des chasseurs et nomades. Ils sont donc friands de viandes crues (phoques, truites arctiques, morses, bélugas, oies sauvages, etc.). »

Néanmoins, avec la déroute de leur culture, ils sont devenus plus sédentaires. Ceci explique sans doute tous les problèmes sociaux présents dans leurs communautés : abus de drogues, alcool, violence…
J’oserai dire que, tout comme les problèmes sociaux que les Inuits vivent, la religion (protestante) en est aussi une d’emprunt à la culture blanche, car « traditionnellement » pour les autochtones, rien n’était plus grand que la Nature.

Village de Blanc Sablon
Village de Blanc Sablon

La banquise du Grand Nord québécois
La banquise du Grand Nord québécois

De quoi vivent les gens ?

Cette dernière question a, bien sûr, un « biais » social et culturel. Il faut comprendre que de poser la question réfère à ce que l’on entend, nous les blancs, par « vivre ». Cette question a donc, dans ses prémisses, un préjugé social où « vivre » signifie « travail » dans la culture blanche. Bref, ceci étant dit, comme partout ailleurs, certains Inuits ont un travail comme nous les blancs : interprète, gardienne d’enfants, secrétaire, épicier… mais une grande majorité vivent de l’aide sociale, étant donné qu’il y a pas beaucoup de boulot en région éloignée.

 

Quelle langue parlent-ils ?

Les Inuits parlent l’inuktitut. Certains parlent couramment le français et la plupart parlent aussi l’anglais. Par contre, il n’est pas rare d’avoir des patients âgés qui ne parlent que l’inuktitut. Les interprètes s’avèrent alors très utiles pour le personnel soignant.

Quelles sont les températures en moyenne ?

« Imaginez-vous dans votre congélateur… et vous seriez encore loin de la réalité. »

Village inuite d'Ivujivik
Village inuite d’Ivujivik

On parle souvent de la hausse de la température mondiale et de ses conséquences, vois-tu des répercussions là où tu travailles ? Les populations en parlent ?

On le voit surtout au niveau de la banquise qui rapetisse d’année en année, influençant donc le comportement des animaux (ours polaire, phoques). En tant que chasseurs, les Inuits sont sensibles à ces changements, mais s’ajustent vite. La plupart des changements climatiques sont pour le moment plutôt subtils. Mais viendra un jour où le cumul de ces « subtilités » auront de graves répercussions sur la faune, la flore et sur les peuples du Grand Nord québécois.

Comment t’occupes-tu ? quelles sont les distractions ?

Je suis un grand amateur de plein air, alors je suis plutôt bien servi dans le Nord. J’adore la pêche, la chasse, entre autres. J’ai fait beaucoup de motoneige aussi. Ma nouvelle passion est le kitesurf, que je pratique durant les quatre saisons. Aussi, je suis des cours universitaires à distance et je travaille sur divers projets comme mon livre sur les infirmiers et infirmières du Nord.

Aurore boréale, Inukjuak
Aurore boréale, Inukjuak

Kegaska

Justement, quels sont tes projets ?

J’adore mon travail d’infirmier en rôle élargi. Il me permet de voir une réalité que peu de gens voient : celle des régions éloignées, des communautés autochtones et de vivre près d’une nature exubérante et grandiose. Avec une expérience en rôle élargi, un monde de possibilités s’ouvre à nous. Je fais souvent des contrats comme infirmier de chantier pour des compagnies minières ou des agences gouvernementales. J’ai d’ailleurs comme projet de partir comme officier de santé sur un bateau brise-glace du gouvernement. Ces bateaux naviguent vers les mers du cercle arctique canadien afin de réaliser des missions de patrouille du territoire ou des missions scientifiques.

Autre projet sur lequel je travaille avec acharnement depuis deux ans : la rédaction d’un livre sur les infirmiers et infirmières du Grand Nord québécois qui a pour titre : « Le Nord à bras-le-coeur« . Livre qui est publié par les Éditions Les Presses de l’Université Laval, il est désormais disponible ici à la vente !

Page de couverture du livre "Le Nord à bras-le-coeur"
Page de couverture du livre « Le Nord à bras-le-coeur »

Crédit Photos : Etienne

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14 réflexions au sujet de “L’aventure d’un infirmier au coeur du Grand Nord Québécois”

  1. C’est beau je trouve que des gens partent aider les populations « reculées » comme toi au lieu de chercher à tout prix à trouver une place dans les zones surpeuplées (surtout dans le métier d’infirmier ou il n’est pas facile de trouver un poste). Bravo

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    • Pour ma part, je suffoque en ville. Je préfère être loin des zones surpeuplées, plus près de la nature… et plus près de l’humain.

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  2. Quel bel article et une jolie découverte.
    Grâce à vous, on découvre qu’il y a des français partout ! 🙂 même à l’autre bout du monde (dans un congélateur).
    Merci pour cet interview. Le livre a l’air prometteur !

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